Cachez ce bagne qu’on ne saurait voir …


… quand Président Macron visite la Guyane !

Le 27 octobre 2017, au petit matin. Il fait nuit et le jour va brusquement se lever sous les cieux équatoriaux. Nous sommes sur la route nationale un et avons quitté Saint Laurent du Maroni pour éviter la chaleur. Nous roulons vers Cayenne. Coauteurs du livre Des hommes et des bagnes paru chez Libertalia en 2015, nous sommes là-bas pour un voyage d’étude sur notre sujet de prédilection et c’est peu dire que le bagne nous colle à la peau comme notre chemise à la descente de l’avion à l’aéroport Félix Eboué. La chaleur est étouffante et on saisit instantanément l’effrayante mortalité carcérale en terre de grande punition.

Nous en avons profité pour proposer deux conférences, l’une à Saint Laurent, l’autre à Cayenne. A chaque fois le deal est le même : pas de rémunération, mais nous demandons à être logé le soir de la causerie. A Saint Laurent, accueil sympathique et chaleureux. Notre exposé – à l’intérieur même du camp de la transportation – sur les « destins croisés » de Jacob, d’Ulmo, de Louis Rousseau et de Léon Collin se déroule parfaitement bien. La trentaine de personnes présentes semblent satisfaite. Certains entament une longue discussion jusqu’à pas d’heure. Le lendemain, la deuxième causerie est prévue à 20h30 au musée Franconie de Cayenne et nous roulons sereins pour parcourir les 250 kilomètres qui séparent les deux villes.

A mi-chemin, à hauteur d’Iracoubo où se trouve la magnifique église Saint Joseph entièrement peinte de 1892 à 1898 par le bagnard Huguet, le téléphone sonne : c’est Gilles Privat, directeur par intérim du dit musée Franconie. Il nous annonce l’annulation de notre prestation pour le soir même. Exit la présentation du livre de Libertalia et, à travers les souvenirs de Léon Collin, la mise au point sur le système éliminatoire à la française. Le président de la République, Emmanuel Macron effectue un déplacement en Guyane ; il n’a pas forcément soulevé l’enthousiasme des foules. Des heurts ont eu lieu en centre-ville dans le quartier où doit se dérouler notre exposé et, par mesure de sécurité, la conférence été annulée.

Qu’à cela ne tienne, nous nous rendons tout de même au musée pour rencontrer le conservateur et échanger nos impressions sur cette malencontreuse suppression.

La ville est calme même si l’on perçoit une tension sur la place des Palmistes où ont eu lieu des échauffourées avec la police. Çà et là, des traces d’affrontements, des restes de grenades de désencerclement. Cayenne semble pourtant vaquer à ses quotidiennes occupations et vers 11h le ti-punch coulera à flot sur la terrasse du Bar des Palmistes, où Jean Galmot prononça de nombreux discours lors des élections législatives de 1924 et 1928.

L’entretien dure plus d’une heure. Gilles Privat porte une chemise trop serrée. Il assure l’intérim de la haute garde du lieu avant une nomination officielle. Il évoque une collaboration pour un projet d’étude sur le bagne dans la ville, nous fait visiter les réserves et découvrir des dessins de Flag – Francis Lagrange – que son établissement vient d’acquérir. Punaise, ça tombe bien, nous projetons une étude à venir sur le peintre bagnard. Nous sommes choyés. Toutefois, un propos nous interpelle ; si ce dernier est désolé de l’annulation, il nous fait comprendre également qu’au niveau de la communauté territoriale cela « arrange » beaucoup car « le bagne » n’est pas un sujet porteur dans le cadre de la visite présidentielle. Faut-il comprendre que le directeur du musée Franconie a subi des pressions de la part des élus locaux ? Il semble opiner timidement du bonnet mais ne dit rien, ne veut rien dire de concret à ce propos et ne surtout pas prononcer le mot censure. Il sue. Comme dans la Métamorphose de Kafka, il ressemble de plus en plus à une blatte. Elle cherche à fuir. Il cherche une issue dialectique. Ce sont alors les émeutiers, les « grands frères » les coupables. Ceux-là même qui réclamaient droit, justice et décollement en mars dernier. Nous nous étonnons et nous indignons ; nous arguons aussi de l’importance de l’histoire carcérale et coloniale dans la mémoire de la Guyane. La rencontre se déroule pourtant avec courtoisie, et le directeur embarrassé, mal à l’aise, insiste encore une fois pour nous dire que ce sont des questions de sécurité qui ont prévalu à l’annulation alors que l’évènement avait été soi-disant annoncé par voie de presse et d’affichage. Pour notre part, et nous l’avons constaté les nuits suivantes,  les « heurts » nocturnes semblaient tenir plus de l’agitation que d’une réelle révolution. Pas de quoi fouetter un fagot. Pour notre part, et nous l’avons constaté dans les minutes qui suivirent cette rencontre, seules deux affiches annonçaient l’évènement à prétention culturelle au musée Franconie. La première se trouvait sur la porte du musée … la seconde scotchée à même le comptoir d’entrée du musée. Rien dans la presse locale. Rien sur les devantures des magasins de Cayenne. Gilles ne nous tournerait-il pas en bourrique ?

Nous faisons notre deuil de la conférence regrettant juste d’avoir quitté, pour rien, Saint Laurent où nous aurions pu approfondir nos recherches, nous rendre à Saint Jean du Maroni ou à la rhumerie Saint Maurice qui distille la Belle Cabresse, ou encore à la recherche des restes s’il en est des chantiers forestiers mortifères qui flinguèrent littéralement tant d’hommes punis.  Et puis nous savons qu’une conférence n’est jamais la même d’un lieu à l’autre et nécessite un minimum de préparation … Il est temps de nous quitter et nous demandons à notre hôte, qui sue de plus en plus, l’adresse de l’hôtel qui nous a été réservé. La réponse nous laisse sans voix : la conférence ayant été supprimée, nous ne réalisons donc aucune prestation et la communauté territoriale, estimant ne rien nous devoir, ne nous loge pas pour la nuit.

Il va sans dire que l’atmosphère se tend presqu’immédiatement. Il va s’en dire que nous comprenons presqu’immédiatement l’intempestive sudation du conservateur par intérim qui veut bien entendre quelques protestations de notre part. Grand seigneur, Gigi blablate et nous répond que si la nuit n’est pas prise en charge, la réservation est toujours effective et que nous ne sommes pas à la rue. Nous quittons fort dépités et en colère le musée Franconie et nous nous rendons à l’hôtel des Amandiers qui se trouve sur la place éponyme et qui aurait dû nous accueillir. Nouvelle surprise, nouvelle déconvenue : tôt dans la matinée la réservation a été purement et simplement annulée par le dit musée Franconie ! Et l’hôtel, avec l’afflux des journalistes qui suivent les péripéties guyanaises de notre président et l’élection de Miss Guyane qui se déroule le soir même dans la ville … est complet !

Il nous faudra quatre heures, pour trouver un hôtel en périphérie de Cayenne. Un petit hôtel simple, à presque bas prix au regard des quatre étoiles affichées : le Mercure Royal Amazonia. Chambre à 132€, piscine et petit déjeuner compris. Et miss France pour nous accueillir en personne ! Là c’est nous qui aurions pu suer à grosse goutte malgré l’agressive climatisation de l’hôtel. En fait non, elle est juste derrière nous, à l’accueil de l’établissement hôtelier. De la bombe en boîte mais on n’aime pas les boites. Surfait et prémâché. Nous n’avons pas d’autres choix que de nous installer dans le lieu. Il fait chaud dehors, très chaud, on est éreinté par la quête du logis, par la fourberie de Gigi. Lorsque l’on sait que notre modeste exigence était comblée par une seule chambre à deux lits pour un prix  inférieur à 90€, on prend encore plus la mesure de la grandeur du geste que nous venons de subir. Maladroitement, une plaquette est apposée le lendemain 28 octobre 2017 sur l’unique affiche du musée Franconie qui annonçait la conférence annulée. Elle signale son report à une date ultérieure. Gigi nous prend visiblement pour des cochons bwas.

A ce jour et face à nos protestations, le directeur provisoire du musée Franconie de Cayenne, s’est engagé à nous rembourser notre nuit d’hôtel. On attend encore le dédommagement du préjudice subi. On aura d’abord compris que notre amertume n’a rien à voir avec le prix d’une chambre d’hôtel  – ça c’est la petit goutte d’eau qui fait déborder le vase de nos aventures guyanaises – et que notre demande de remboursement est d’ordre symbolique. On pourrait même en rire.  Mais, au final un désagréable sentiment nous a étreint : la culture n’a pas de beaux jours à venir en Guyane  et, pendant ce temps, le souvenir du bagne se meurt pour cause de visite présidentielle.

Silence, ici on a crevé des hommes !

Philippe Collin / Jean-Marc Delpech

ps : une copie expurgée de cette triste chronique a été envoyée à divers organes de presse en métropole.

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